RDC : le coupé-décalé, un style de musique ou un mode de vie ?

Article : RDC : le coupé-décalé, un style de musique ou un mode de vie ?
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5 octobre 2023

RDC : le coupé-décalé, un style de musique ou un mode de vie ?

À Kinshasa, la musique transcende les barrières culturelles et façonne la vie des jeunes. Le coupé-décalé, un genre musical venu de la Côte d’Ivoire, est devenu le fer de lance de la jeunesse kinoise. Cette musique entraînante, toutefois, suscite des débats passionnés.

Au cœur de la diversité culturelle de la République démocratique du Congo, chaque genre musical laisse une empreinte unique, mais aucune ne peut rivaliser avec l’influence du coupé-décalé. Cette musique a transcendé le simple cadre de l’expression artistique pour façonner le mode de vie des jeunes Kinois, dictant leurs manières de vivre, de s’exprimer, et même de se vêtir. Cependant, le coupé-décalé n’est pas sans controverse.

En 2015, la commission de censure congolaise a interdit la diffusion du coupé-décalé ivoirien sur les chaînes nationales, affirmant que cette musique propageait des valeurs controversées et perturbait la campagne pour une nouvelle citoyenneté. Cependant, cette interdiction n’a pas dissuadé les jeunes Kinois, qui continuent à se perdre dans les rythmes entêtants du coupé-décalé. Entre passion et conflits, ce style musical a façonné un récit complexe de la jeunesse congolaise.

Biennale de Lyon @ Pierre Ricci

Quand le coupé-décalé prend vie

Il est 7 heures du matin à Kinshasa, la capitale de la République démocratique du Congo. Alors que le soleil perce l’horizon, la ville s’éveille dans une agitation frénétique. Les rues fourmillent d’activité, et il n’y a pas de temps à perdre. À Kinshasa, chaque instant compte. La rareté des transports en commun incite les Kinois à trouver des alternatives, et c’est sur deux roues que beaucoup d’entre eux choisissent de se déplacer. Parmi les sons des klaxons, des conversations animées et des éclats de rire, une mélodie particulière se distingue dans le flot incessant de la métropole. C’est le coupé-décalé, le genre musical préféré des jeunes Kinois.

Au coin d’une rue animée, un jeune motard se prépare pour sa journée. Il achève sa petite bouteille de liqueur forte, allume le moteur de sa moto, et choisit une chanson de coupé-décalé pour l’accompagner. Son nom est Gradi, et malgré ses 20 ans, son visage affiche une gravité qui contraste avec la jeunesse de sa personne. Cependant, dès les premières notes de la chanson, son visage s’illumine. Les paroles du DJ résonnent : « Tianga zemi x2, na lembi nanga epa na biso, » (« Engrosse-moi x2, je suis fatigué de rester chez nous. ») Le sourire aux lèvres, Gradi confie : « Je peux passer toute la journée à écouter cette musique. Elle me motive pour bien travailler. »

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Les gens font la queue pour monter dans un bus en commun à Kinshasa. @foculture

Quelques mètres plus loin, une autre facette du coupé-décalé émerge. Cette musique est considérée pour certains comme une voix qui exprime leur réalité, en dépit de ses défauts.

Daniel, jeune menuisier, tient entre ses mains brunies une cigarette. Il explique comment le coupé-décalé trouve un écho particulier dans son cœur. « C’est la musique du petit peuple, » assure-t-il, « la musique de ceux qui n’ont pas les moyens de s’offrir des chansons dédicacées par les grands artistes. » Au milieu de l’agitation de la ville qui s’éveille, le jeune père continue : « Par exemple, si je suis là, je peux donner une somme à un artiste de coupé-décalé, et il chantera pour moi. » Ses yeux s’illuminent d’enthousiasme. Il ajoute : « La musique est importante pour la vie des gens modestes. Avant, il était impossible de dédicacer une chanson en l’honneur d’un proche. Aujourd’hui, lorsque nous perdons un être cher, les artistes de coupé-décalé de nos quartiers nous offrent des chansons en hommage à nos disparus. »

Le coupé-décalé à la base des conflits à Kinshasa

Cependant, cette passion pour le coupé-décalé ne va pas sans conséquences. La musique, qui a pris de l’ampleur en 2008 avec Papy Mbavu, a laissé des cicatrices sur la jeunesse de Kinshasa. La musique des gangs ou encore la musique des maîtres : les appellations sont nombreuses mais le rythme est le même.

Un jeune nommé R10, qui dirige un gang dans la commune de Matété, affirme : « Nous avons des artistes qui nous sont propres, et lorsque certains tentent de chanter en l’honneur d’autres groupes, cela crée des conflits, pouvant aller jusqu’à provoquer des blessés, voire des morts. »

Quoi qu’il en soit, cette musique continue de résonner dans les rues de Kinshasa, défiant les autorités et créant un environnement propice à la consommation incontrôlée d’alcools forts. La ville électrique, où les sens sont en ébullition, ne cesse de vivre au rythme de cette mélodie discordante. Le coupé-décalé, à la fois source d’harmonie et de conflits, est devenu le reflet complexe de la vie à Kinshasa.

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